L’institution monétaire est un levier puissant de changement de la société. Elle est aujourd’hui adaptée au capitalisme financier, mais l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran fait le vœu pour 2024 de réformer le système monétaire pour l’adapter à une société respectueuse des limites planétaires et de l’humain. Un vœu à notre portée qu’elle porte avec deux coauteurs dans le livre “Le Pouvoir de la monnaie”*.

Quel est votre vœu pour l’année 2024 ?


Je souhaite que l’on mette en place la proposition que nous portons dans notre livre*, avec Pierre Delandre et Augustin Sersiron, qui consiste à changer la monnaie pour assurer un changement sociétal. La monnaie bancaire que nous connaissons aujourd’hui est une monnaie marchandisée qui ne peut financer que des projets rentables. Or nous avons besoin de réaliser de nombreux projets non rentables, aussi bien concernant la réparation de la nature, l’adaptation au changement climatique, que pour la rénovation thermique d’écoles, d’hôpitaux, etc. Notre idée, c’est d’utiliser la puissance du levier monétaire en transformant le mode d’émission de la monnaie, pour l’adapter aux besoins de la société.
Or la monnaie en tant qu’institution est très malléable et changeante dans le temps. Le système actuel fonctionne depuis près de deux cents ans et a été façonné par le capitalisme industriel, puis transformé pour s’adapter au capitalisme financier. Mais il n’est pas adapté à un projet sociétal impliquant une bifurcation sociale et écologique.

Peut-on transformer le système monétaire si facilement ?


Ces dernières années, on a vu des transformations de la création monétaire pour gérer des crises, mais elles ont surtout visé à sauver le système actuel – soit lors de la crise financière de 2008 ou pendant la pandémie de Covid-19. Notre proposition consiste à transformer le système monétaire actuel en y ajoutant un mode d’émission légal qui permettrait de financer des projets écologiques sans rentabilité. Nous appelons cela une monnaie volontaire, parce qu’elle serait l’expression d’une volonté démocratique, avec une gouvernance partagée, ouverte sur la société civile.
Pour cela, nous imaginons un institut public adossé à la Banque centrale européenne qui décide du montant de monnaie sans dette à émettre, puis qui dirige cela vers des “Caisses de développement durable” chargées d’allouer des subventions à toutes sortes d’acteurs porteurs de projets reconnus comme socialement ou écologiquement favorables, mais non rentables.
Cette monnaie volontaire vient se fondre dans la masse monétaire, donc il se peut qu’elle soit en excès à un moment. Il faut donc surveiller en permanence l’évolution de la masse monétaire et la réguler par des dispositifs spécifiques.

Cela changerait complètement le profil de l’économie ?


Une telle transformation monétaire ferait éclore un système monétaire adapté à une société post-croissance. Au départ du dispositif, cela génèrerait forcément de la croissance puisque de nouveaux projets seraient financés, mais ce n’est pas le but recherché. L’idée est de développer l’économie non marchande, pour rééquilibrer la sphère marchande et non marchande. On ne serait plus dans une société qui recherche la croissance à tout prix, mais dans une société qui place les limites planétaires au centre, dans le respect de l’humain. Cela se heurte aujourd’hui à un système économique et financier qui n’est pas conçu pour épouser cette transformation. Mais le système monétaire est aisément transformable. Il faut le voir comme un levier de bifurcation sociétale !

*Le Pouvoir de la Monnaie, Jézabel Couppey-Soubeyran (maîtresse de conférences à l’université Paris 1, conseillère scientifique de l’Institut Veblen), Pierre Delandre (Haut fonctionnaire) et Augustin Sersiron (docteur en sciences économiques et philosophie politique), éditions Les Liens qui Libèrent, janvier 2024.

Découvrir gratuitement l'univers Novethic
  • 2 newsletters hebdomadaires
  • Alertes quotidiennes
  • Etudes